Petit frère à l'horizon

Je viens ici encrer quelques souvenirs, vu de ma lorgnette, sur les sables émouvants des p[l]ages de la fraternité avec mon cadet Jean Marie.

D’après mes infos et mes calculs, nos parents étaient très motivés pour me donner un petit frère. Au sortir de la guerre, le contingent n’ayant pas accompli leur service militaire pendant les cinq douloureuses années qui venaient de s’écouler, devait quand même faire une période.

De plus la reconstruction du pays nécessitait une forte activité de tous et pépé Guy n’échappait pas à la règle. Malgré cela pépé Guy, grand admirateur du boxeur Marcel Cerdan, a su, comme lui, gérer la situation, au four et au moulin, aidé en cela par son coach personnel Mamie Simone.

 

Moi j’avais quatre ans, quand le bébé est né. Je soupçonne notre grand-mère paternelle, très pieuse, d’avoir influencé nos parents pour l’attribution de son prénom puisqu’il rassemble en un mot Jean et Marie.

Dans ces années là, 4 ans c’est peu et c’est beaucoup à la fois. Je me souviens quand même qu’il fallait entrer sur la pointe des pieds dans notre chambre commune pour ne pas réveiller le poupon bien potelé comme l’attestent quelques photos noir et blanc de l’époque.

 

Dehors le monde se remettait fébrilement des années de guerre dont des traces ici et là étaient encore présentes. C’était la fin des tickets de rationnement et le premier journal télévisé exhibait sur des postes encore rares les images en 819 lignes des pionniers de l’audiovisuel.

Mes plus lointains souvenirs de Jean Marie se situent autour du point de rassemblement familial préféré : la table. Je le revois penché dans sa chaise haute en bois à roulette, la tablette rabattue, bavette autour du cou, cuillère à pleine main et bouillie débordante sur les joues.

Cette entrée probablement enrichie de vitamines, manœuvrée façon sémaphore, fut pendant une bonne période l’essentiel de sa restauration comme beaucoup des enfants d’après guerre. La préparation vendue dans des boites métalliques doit représenter une quantité impressionnante si l’on en juge par le nombre de récipients, que pépé Guy, qui ne jetait rien, conservait pour y mettre ses vis et ses boulons, qui ont longtemps trôné dans son atelier et que j’ai encore dans le mien.

Après cette entrée vitaminée, maman, qu’on appelait pas encore mamie Simone, lui trempait des mouillettes dans un œuf à la coque. Un œuf tout droit venu du poulailler que j’avais été ramasser peu avant. C’était mon boulot. A ce régime là, il est rapidement devenu opérationnel pour se joindre à moi dans nos jeux impitoyables.

 

Je précise, pour les plus jeunes, qu’il n’y avait dans ces années là, à la maison, ni télé ni tourne-disque, encore moins de transistor, sans pour cela que nous en fussions malheureux puisque tout le monde était logé à la même enseigne.

La personnalité de chacun se construit tout au long de la vie, mais quelques traits du personnage se profilaient déjà. J’aurais dû m’en douter, quand on jouait au train électrique, il voulait comprendre comment fonctionnait la locomotive. A l’arrêt du trafic, il retournait la machine dans tous les sens, démontait les roues et les organes de transmission, juste pour voir et avoir le plaisir du remontage sans pour autant avoir la garantie de la remise en ordre de marche.

Flairant le coup, nos parents investirent dans un jeu de Meccano, très courant alors. Et quand on y jouait, les petites vis, les écrous et les rondelles, s’assemblaient en convois exceptionnels aux finalités improbables.

 

Si je rassemble mes souvenirs, je revois notre fraternité de gamins comme un ensemble de « bidouilles » surprenantes qui débouchaient toujours sur la satisfaction du travail bien fait.

On se défoulait dehors, transformant le jardin en stade olympique. Saut à la perche avec le râteau, patinage sur flaques gelées, arbres fruitiers comme poteaux de buts, circuit dans le quartier transformé en étape du Tour de France.

 

Nos quatre années d’écart nous ont éloignés à l’adolescence, mais il n’était pas rare que je le retrouve dans l’atelier paternel en train de démonter pièce par pièce un moteur de Vélosolex. Tous les éléments étalés sur un drap, nettoyés, classés avec soin. Tout ça pour le plaisir de comprendre comment ça marche. Il flottait pour moi une odeur de génie mécanique car je ne me sentais pas avoir la même patience. Enfin, dans les bons jours, la séance se terminait par une pétarade au terme du remontage affiné de ses réglages personnels !

 

Puis je suis parti dans la vie, travail, service militaire (Eh oui, les gars!), le début d’une famille. Pour lui, études et découverte d’un monde futur à l’époque et maintenant omniprésent : l’informatique. Je le vois très bien, parmi les cartes perforées d’alors, dans la conception et la définition des programmes où bien d’autres devaient s’arracher les cheveux.

 

Il y eut un moment de rapprochement, pendant quelques mois qui nous a permis de retrouver nos réflexes d’enfance au travers de quelques matchs de foot dans la même équipe et l’empilage de nouveaux souvenirs. Je me régalais des passes ajustées au millimètre de Jean Marie alors que je me perdais dans des glissades ou des retournés pour rétablir les trajectoires scabreuses en direction du but.

 

Et puis l’existence éloigne, rapproche au gré des communions et des mariages où se renouvellent les relations. Puis la retraite venue, les contraintes professionnelles s’estompent. Le destin fut propice aux retrouvailles. J’ai retrouvé Jean Marie comme l’avais laissé. Un fois par an, au moins, nous reformons l'équipe pour faire une de ces petites escapades en vélo et qu’on vous raconte à notre manière.

 

Difficile de définir le personnage, mais à travers nos instants de communion, je lui attribue quelques adjectifs qui lui vont bien :

Patient, méticuleux, obstiné, curieux, soigneux ouvert d’esprit, observateur, inventif, féru d’histoire(s), intelligent, adaptable, bon vivant, pétri d’humour (froid), intuitif, cérébral.

En un bout de phrase, trois mots peut être, il nous fera exploser de rire.

Un caméléon surprenant, autant à l’aise en costume cravate qu’en robe de chambre.

 

Si je peux me permettre une petite conclusion momentanée sur ce frère que l’on m’a donné, ce serait de vous avouer joyeusement qu’il me va très bien.

 

Ne changez rien !

 

Chez nous un plus un ça fait 1.

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